Une personne intersexe de 66 ans avait demandé que la mention « sexe neutre » soit inscrite sur ses papiers d’identité.
« Sexe : N. » Comme neutre. Voilà ce que Gaëtan (le prénom a été modifié) souhaiterait voir inscrit sur ses papiers d’identité. Mardi 21 mars, la Cour de cassation était appelée à examiner la possibilité de reconnaître l’existence d’un troisième sexe.
Gaëtan est né voilà 66 ans avec des organes sexuels indéterminés, comme environ 200 bébés qui présenteraient chaque année des variations du développement sexuel. Comme ses parents voulaient un garçon, ils l’ont déclaré et élevé comme tel. Mais il ne s’est pas coulé dans ce moule, et son corps non plus. Ses organes génitaux ont conservé des aspects à la fois masculin (micropénis) et féminin (vagin rudimentaire).
« Il n’est ni homme ni femme, ne se sent ni homme ni femme, ne peut devenir ni homme ni femme et ne veut devenir ni homme ni femme », a résumé Me Bertrand Périer, qui défendait Gaëtan devant la Cour de cassation.
Revendiquant une identité intersexuée, ce dernier souhaite la voir reconnue à l’état civil. Le 20 août 2015, le tribunal de grande instance de Tours lui avait donné raison, une première en France. La décision a été invalidée par la cour d’appel d’Orléans en mars 2016.
« On nous oppose que [Gaëtan] a l’apparence physique d’un homme, a poursuivi son avocat. C’est faux. Il n’a pas d’organes sexuels reproducteurs. Seul un traitement contre l’ostéoporose lui a conféré une apparence masculine artificielle. Il s’est marié avec une femme et a adopté un enfant, mais n’a en aucune façon renoncé à être ce qu’il est. De plus, le mariage et l’adoption n’ont, depuis la loi de mai 2013 [sur le mariage pour tous], plus rien à voir avec la différence des sexes. On nous dit que la reconnaissance du sexe neutre pourrait créer des troubles chez les personnes concernées. Mais qui mieux que [Gaëtan] sait ce dont il a besoin ? C’est ériger des peurs pour s’abriter derrière. »
Les promoteurs du sexe neutre mettent en avant l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui garantit à chacun le droit au respect de sa vie privée. « L’identité sexuée est un élément fondamental de ce droit, affirme Benjamin Moron-Puech, docteur en droit à l’université Panthéon-Assas. De plus, plusieurs Etats comme l’Allemagne ou Malte se sont prononcés récemment en faveur de la reconnaissance d’une identité non binaire. »
« L’indisponibilité et l’immutabilité de l’état civil existent pour des raisons de sécurité, afin de permettre l’identification fiable des personnes », a répondu le premier avocat général de la Cour de cassation, Philippe Ingall-Montagnier, en demandant le rejet du pourvoi. Le changement de sexe à l’état civil est permis pour les personnes transsexuelles ou transgenres, selon des critères redéfinis par la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle de novembre 2016, sous le contrôle du juge. Mais il s’agit toujours de passer d’un sexe à l’autre. La loi ne définit pas de troisième sexe.
« La demande vise un objet qui n’existe pas, a poursuivi M. Ingall-Montagnier. Il s’agit de créer une nouvelle catégorie de personnes. C’est du domaine de la loi, non du législateur. Une réponse positive serait source de risque et susciterait une multiplication inconsidérée de demandes, qui recevraient des réponses différentes selon le tribunal saisi. » « La nature n’est pas binaire, pourquoi le droit le serait ? », a riposté Me Bertrand Périer.
« Je suis serein, je sais qu’on va y arriver, a commenté Vincent Guillot, président de l’Organisation internationale des intersexes. Si ce n’est pas devant cette juridiction, ce sera devant une autre. » M. Guillot milite pour la reconnaissance des personnes intersexes et l’arrêt des opérations effectuées sur les enfants, jusqu’à ce qu’ils soient en âge de donner leur consentement. Si Gaëtan n’a pas été opéré, M. Guillot a subi à plusieurs reprises des actes de chirurgie destinés à l’assigner au sexe masculin qui le font toujours souffrir.
Signe que ce combat commence à porter, François Hollande a estimé, vendredi 17 mars, lors d’une cérémonie à l’Elysée, que « l’interdiction des opérations chirurgicales subies par des enfants intersexes, de plus en plus largement considérées comme des mutilations », faisait partie des « nombreux combats à mener » pour les droits des personnes LGBT (lesbiennes, gays, bi, et trans).
La délégation aux droits des femmes du Sénat s’est, de son côté, prononcée, mardi 7 mars, en faveur de l’indemnisation des personnes ayant souffert des conséquences d’opérations mais estime que le corps médical a « pris conscience des problèmes éthiques soulevés par les opérations systématiques ». Elle ne s’est pas prononcée sur la reconnaissance du sexe neutre, « un vrai défi au regard du droit français, fondé sur la binarité des sexes ». La Cour de cassation rendra sa décision le 4 mai.