Genre neutre : le débat en Australie « pas transposable à la France »

 

GENRE NEUTRE: CE N'EST PAS UNE REPONSE!

Le Monde.fr | 03.04.2014 à 11h43 • Mis à jour le 03.04.2014 à 12h15

La décision de la Haute cour australienne intervient à la suite d’une procédure menée
par une personne, Norrie, qui ne s’identifie pas comme un homme ou une femme et
qui réclamait la création d’une catégorie supplémentaire pour « genre neutre ». |
La justice australienne a légalement reconnu, le 2 avril, un troisième sexe, le «
genre neutre », au terme de la bataille judiciaire menée par Norrie May-Welbie
qui revendiquait n’être « ni homme, ni femme ». Née homme, cette personne a
subi une opération pour changer de sexe en 1989. Mais l’opération a échoué à
mettre un terme à l’ambiguïté qu’elle éprouve sur son identité sexuelle.
En 2010, le registre d’état-civil de Nouvelle-Galles du Sud (l’Etat de Sydney)
avait accepté de l’enregistrer sous la catégorie « genre non spécifique », avant
de revenir sur sa décision et d’invalider le certificat. Norrie a alors déclaré avoir
le sentiment d’être « assassiné socialement ». Plusieurs recours ont été
déposés en justice, par les deux parties, jusqu’à la décision finale, de la plus
Haute Cour du pays.

Lire : L’Australie reconnaît le « genre neutre » pour les personnes
(/asie-pacifique/article/2014/04/02/australie-la-justice-reconnait-le-genre-neutre-pour-les-
personnes_4393923_3216.html)

Arnaud Alessandrin, professeur de sociologie à l’université Bordeaux Segalen et spécialiste des études du genre et de la transexualité, décrypte les enjeux et conséquences de ce nouveau genre.
Dans le débat autour de l’affaire Norrie, plusieurs termes relatifs au genre
sont employés : transexuel, transgenre, genre neutre,… A quoi renvoient
ces termes ?
Arnaud Alessandrin : Il faut avoir trois termes en tête pour mieux cerner la
question : d’abord, celui de transexuel, qui n’est rien d’autre que le nom d’une
maladie, inventée par la psychiatrie. Aujourd’hui, la médecine française
considère que l’on « souffre » de transexualisme.
Deuxièmement, le mot transgenre désigne les personnes qui veulent changer
de sexe. Chaque homme désirant devenir femme, et chaque femme désirant
devenir homme sont des transgenres. Le terme de transgenre est donc plus
approprié que celui de transexuel, car il est moins stigmatisant pour cette
catégorie de personnes.
Enfin, la notion de personne « intersexuée » représente quelqu’un qui naît avec
plusieurs caractéristiques sexuelles différentes : de manière naturelle, un petit
garçon qui a une poitrine surdéveloppée, ou une petite fille qui a une pilosité
très importante sont par exemple tous deux des personnes intersexuées.
La demande faite par l’Australienne Norrie de ne pas être enregistrée sous
un genre spécifique représente-t-elle la volonté de la communauté
transgenre ?
Absolument pas, et elle ne fait d’ailleurs pas l’unanimité en Australie : les
transgenres australiens, et même d’un point de vue mondial, ne veulent pas être
« neutres ». Ce qu’ils veulent, c’est le droit de changer d’état civil librement,
sans forcément se faire opérer. Etablir une troisième catégorie dite « neutre »
est bien loin de leurs préocuppations. Cette revendication n’a jamais été portée
par la communauté transgenre.
Pour Norrie, c’est une démarche personnelle, un questionnement sur la binarité
: est ce que je suis forcé/e d’entrer dans une des deux cases « femme » ou «
homme » ou est-ce que je peux décider d’adopter un troisième genre ? Cette
personne a décidé d’adopter un genre neutre, mais elle n’est pas le porte-voix
d’une communauté.
Dans quels termes se pose le débat en France ?
Le débat Norrie n’est pas transposable à la France, où les enjeux sont
résolument différents. Le vrai débat touche à la dignité des personnes : il faut
être stérilisé pour changer officiellement d’état civil et donc de genre. Même
opérée, la personne transgenre n’a pas d’existence juridique et légale tant
qu’elle n’est pas stérilisée. Pour l’anecdote, les seuls autres épisodes de
stérilisations humaines qu’il y a eu en France remontent à la seconde guerre
mondiale.
La transexualité est considérée comme une maladie mentale. Or , les trois
quarts des transgenres ne peuvent se faire opérer et sont donc considérés
atteints de maladie mentale. Les critères pour se faire opérer sont difficiles :
seulement quatre villes proposent un programme d’opération en France, qui
s’étale sur trois jours. Les « candidats » doivent être suivis pendant deux ans
par une équipe médicale, qu’ils doivent convaincre de la nécessité de
l’opération. C’est seulement s’ils sont jugés « malades » de transexualité qu’ils
pourront être opérés. Le nombre de patients est très restreint. Pour les autres, il
reste le choix de l’étranger, une opération non-remboursée (entre 6 000 et 20
000 euros) et sans suivi post-opératoire.
Prioritairement, on n’est donc pas dans le même débat que celui du « genre
neutre » : les transgenres réclament d’abord l’arrêt de la stigmatisation. Ils
militent pour être opérés avec dignité, et surtout, pour avoir le droit de changer
d’état civil sans être stérilisé.
Que se passe-t-il dans le cas des personnes intersexuées, celles qui
possèdent naturellement plusieurs caractères dès leur naissance ?
En France, une personne sur 5 000 naît intersexuée, avec plusieurs caractères
sexuels. Automatiquement, chaque enfant dans ce cas subira une opération
chirurgicale à la naissance, pour lui donner et lui « fixer » un sexe définitif. Deux
problèmes se posent ici : d’abord, un problème juridique, car l’enfant n’a pas
d’existence légale jusqu’à ce qu’il soit opéré, puis classifié en tant que fille ou
garçon. Il n’existe tout bonnement pas, le droit français refuse de le reconnaître .
Les parents sont donc pressés de choisir rapidement et arbitrairement le sexe
de leur enfant.
Le second problème, non moins grave, est éthique, car l’opération médicale qui
s’ensuit relève de la mutilation génitale, à la limite de la barbarie. Afin de
reconstituer le sexe de l’enfant, les pratiques chirurgicales ressemblent à
l’excision, parfois même au viol, deux pratiques interdites en France. Les
conséquences psychologiques sont toujours importantes pour l’enfant et ses
proches.
Ailleurs dans le monde, quelles sont les législations et les avancées pour
les droits des transgenres ?
Le Népal reconnaît un troisième genre depuis 2013, plutôt pour des raisons
culturelles que par avancée progressiste. Par exemple, dans la culture
chamanique nommée « hijra » au Nord-Népal , le troisième genre est vénéré et
il est donc naturel pour la population qu’il soit reconnu.
L’Allemagne connaît une évolution majeure depuis la même année, en
reconnaissant aussi un troisième genre pour les bébés qui naissent intersexués.
Cela laisse aux parents du temps pour choisir l’opération la plus adaptée pour
déterminer le sexe de leur enfant. C’est sûrement l’Allemagne qui nous
ressemble le plus.
La Suisse s’érige sans conteste comme le modèle à suivre et représente le
pays le plus avancé pour les droits des transgenres. Un moratoire contre les
opérations systématiques à la naissance des bébés intersexués a été mis en
place par les médecins. Ils suivent un traitement par hormones — réversible et
moins traumatisant qu’une opération— et sont classifiés comme « fille » ou «
garçon » sans que cette catégorie soit figée. Jusqu’à leurs 18 ans, les enfants
intersexués ont le temps de la réflexion pour se faire opérer et choisir leur
sexe… Ou d’ailleurs, ne pas choisir l’opération et rester tels qu’ils sont.

Propos recueillis par Marine Messina