Mais bon, parlons encore et encore de sexualité, ça semble faire déplacer des foules depuis toujours. À quand des colloques sur :
- « Les mecs handis cishét amplement incels et abuseurs sexuels, un fléau mis sous le tapis ? »
- « Valides, combien avez-vous eu de partenaires éro-sexuel-les handi-es, et pourquoi aucun-e ? »
- « Combien de colloques faut-il pour changer une ampoule de conscience ? »
- « Comment dissimuler sa propre paraphilie derrière des discours universitaires ? »
- « Entre partenaires handi-es, qui fait l’homme et qui fait la femme ? » (Sérieusement, vous imaginez s’il y avait encore de nos jours des colloques / conférences qui en seraient toujours à questionner de la sorte l’homophobie mais de façon pleinement légitime, même considérée philanthrope ?!)
- « Quelle remise en question des salarié-es des Plannings Familiaux il n’y a pas si longtemps dans la participation à la stérilisation des femmes handi-es ? »
- « Quelle urgence pour quel avenir : faire intervenir des TDS dans des institutions-taules, ou bien que brûlent les institutions-taules ? Débats en présence de directeur-ices d’institutions grassement financées par le gouvernement »
- « Quelle justice réparatrice pour les enfants handi-es majoritairement abusé-es sexuellement par leur famille 100 % valide ? »
Presque désolé d’être sec, mais il serait quand même plus que temps de lâcher nos culs et sérieusement mieux se battre pour nos autonomies de tous les jours.
Sexualité handie : un tabou ?
Les sexualités handies seraient un tabou en train d’être levé ces dernières années, disent les médias, l’opinion publique, les politiques et leurs institutionnel-le-s. Un tabou en forme de fourre-tout où d’ailleurs la pluralité vaste et riche des sexualités se retrouve singularisée, « la sexualité » handie agite des questionnements dans tous les sens et veut frénétiquement faire sortir des réponses du fourre-tout.
Sauf que s’il y a un premier tabou ce serait sûrement celui de catégoriser «une sexualité handie». Ce qui est certes pratique pour fabriquer du problème et surproduire une armada de solutions, tout ceci évidemment entre spécialistes qui évaluent et «population» qui quémande. L’assistance sexuelle est typiquement le produit de cette sexualité handie narrée comme problématique, souffrante et à soigner urgemment. Problème unique : une sexualité handie non épanouie, solution rudimentaire : des missionnaires d’épanouissement sexuel institutionnalisé. Tabou levé, affaire classée ?
Affaire stigmatisée. D’un premier non-lieu : il n’y a pas de sexualité handie. Il y a des sexualités, autant que d’individus. Autant qu’il n’y a pas un handicap, mais divers handicaps qui réagissent suivant d’innombrables parcours d’existence.
Ladite sexualité handie est présentée comme un ultimatum à devoir combler de la frustration sociétale, pourtant les sexualités des différents vécus handis sont des multitudes de rencontres inédites. La notion de handicap en France est un tel agencement de contrôle sous couvert de l’organisation au soin, à la rééducation et à l’intégration, qu’il est tristement logique d’y voir attribuer une sexualité spécialisée et assistée plutôt que curieuse et stimulante.
Second non-lieu : s’il y avait sexualité handie, alors – dans les règles de l’art de la binarité fainéante – il y aurait une sexualité valide. Quelle serait sa problématique à elle ? Génitrice de normes de performance en plaisirs inatteignables ? Certes, et renvoyant à la sexualité handie son manque de commodité, de spontanéité, donc d’attractivité, tout en lui assénant d’être hors référence, provenant d’une libido anormale et inquiétante. De quoi bien débander. Ces problématiques ne sont pas fantasques, elles régissent de nombreuses idées-reçues désastreuses. Sauf que lorsqu’on prend la peine – le plaisir ! – de vraiment recevoir les idées-reçues, de se laisser aller à rencontrer autrui (et donc aussi soi-même) au-delà de la binarité moisie, il apparaît évident qu’il n’y a ni sexualité spécifiquement handie, ni spécifiquement valide ; il y a une rencontre intime, érotique, corporelle, donnant lieu à autant de sexualités qu’il y a de désirs et de plaisirs. Jouer sexuellement c’est se créer un petit océan, une fluidité diluée entre des individus, vouloir chercher dans les vagues lesquelles seraient handies ou valides revient à se noyer plutôt que nager.
S’il faut considérer «une sexualité handie», arrêtons peut-être de vouloir solutionner ses possibilités de jouissance/s, écoutons-la plutôt questionner au-delà de ses fesses les accès restreints aux plaisirs : pourquoi les backrooms sont inaccessibles ? Pourquoi les institutions pour handi-e-s en France (où aucune sexualité multiple comme engagée ne peut pleinement s’épanouir) sont plus orientées et financées que la vie à domicile ? Pourquoi les lieux de rencontres basiques (bars, soirées en appartements, évènements culturels, etc.) sont majoritairement inaccessibles? Pourquoi l’éducation sexuelle, la prévention d’IST et les accès aux soins gynécologiques sont minimaux pour la population handie ? Pourquoi les médias et réalisations culturelles n’érotisent jamais des corps handis ? Pourquoi dit-on d’un-e handi-e (d’autant plus psychique) que ses «pulsions» libidinales font peur là où elles existent et s’expriment autant chez des personnes valides ? Pourquoi ne pas s’occuper de l’handiphobie chez certain-e-s travailleur-euse-s du sexe autant que de la putophobie chez certain-e-s handi-e-s, plutôt que de déblatérer des siècles à la création de « respectables » assistant-e-s sexuel-le-s ? Pourquoi à domicile bon nombre de services d’auxiliaires imposent des horaires
(et des jours de douche, etc.) ne permettant aucune spontanéité et imprévu de vie ? Pourquoi la précarité financière, le haut chômage, ainsi que la faible accessibilité aux transports en commun pour les personnes handies continuent de les cloîtrer à domicile en réduisant des potentielles rencontres ? Des questionnements dont les solutions sont à déployer collectivement plutôt que de claustrer «le handicap» en dèche sexuelle. Il n’y a pas plus de misère sexuelle chez les personnes handies que chez les personnes valides, par contre il y a assurément un discours qui donne l’avantage social à des sexualités plutôt que d’autres, quant à leurs terrains d’expérimentations, leurs estimes sexappealiennes, leurs autonomies de vécus. Considérer «une sexualité handie» continue de façonner un discours dominant où « le handicap » doit être bénéficiaire de solutions spéciales. Aucune sexualité ne nécessite une résolution, un aboutissement, mais bien plus d’innombrables préludes, ardeurs, explorations, vivacités… et infiniment plus si affinité.
Zig Blanquer