C’est simple, lorsque c’est Justine qui présente l’association, on lui dit généralement que « c’est génial ce qu’elle fait », que c’est même « très altruiste de sa part d’aider les femmes musulmanes ». Alors que lorsque c’est Sarah, on lui rétorque plutôt que « c’est quand même un projet super communautaire, il faudrait aussi parler des discriminations vécues par d’autres femmes ». Certain.e.s rajoutent même qu’elle est « trop concernée par le sujet, trop passionnée » et qu’elle « n’a pas le recul nécessaire pour être très objective ». Clairement, dans notre société, la parole d’une femme blanche et athée a plus de poids que celle d’une femme musulmane, même pour parler de son propre vécu.
Rappelons-le : la mission de Lallab est centrée sur les femmes musulmanes et l’une des valeurs centrales de l’association est la parole aux concernées. Mais à l’image de notre duo, les membres de Lallab – majoritairement des femmes – sont également très plurielles ! Puisque nous ne souhaitons surtout pas reproduire les rapports de domination de la société en notre sein, se pose donc la question de la place de chacun.e dans l’association et notamment des membres qui ne sont pas des femmes musulmanes, c’est à dire les « allié.e.s » !
Nous sommes tou.te.s les privilégié.e.s de quelqu’un
Le mot « privilège » à tendance à faire peur et à braquer les gens – « comment pourrais-je être privilégié.e alors que je n’ai plus rien à manger à la fin du mois ? ». Le mot privilège est souvent associé à la richesse, alors que le concept tel qu’employé ici est beaucoup plus large.
Un privilège, c’est un pouvoir ou une immunité particulière que l’on détient sans avoir fait d’effort pour l’obtenir, et qui nous facilite la vie sans qu’on en ait nécessairement conscience, et sans qu’on l’ait demandé. Ce n’est ni bien ni mal en soi, mais c’est important d’en avoir conscience.
Être valide, par exemple, c’est être en position de privilège face à une personne en situation de handicap, pour qui le simple fait de se déplacer peut être un combat de chaque instant, ou qui met parfois des années à faire reconnaître sa pathologie…
Dans le vocabulaire militant, on insiste sur le fait qu’il est important de « checker ses privilèges », c’est-à-dire de faire un travail personnel pour savoir où sont nos privilèges pour éviter de participer, consciemment ou non, à un système oppresseur.
Chez Lallab, nous cherchons à créer une société plus juste et égale pour toutes les femmes sans porter de jugement sur les identités ou les choix de celles-ci. Nous sommes donc tou.te.s des allié.e.s. Mais comment être un.e bon.ne allié.e ?
1) Ecouter & apprendre à se taire
L’une des règles les plus importantes du rôle d’allié.e est de ne pas prendre tout l’espace en monopolisant la parole. Vous pouvez certes participer si votre contribution est enrichissante, ou en posant des questions pertinentes ou qui peuvent faire avancer le débat, mais sachez garder une place marginale. Etre l’allié.e d’une personne, c’est savoir rester à sa place de « non concerné.e » par une oppression : il faut savoir être à l’écoute du ressenti, du témoignage, des analyses, des solutions proposées. Il faut savoir être une oreille bienveillante.
Si un sujet vous met mal à l’aise, vous êtes parfaitement libre de ne pas vous y engager et de laisser les personnes concerné.e.s débattre.
2) Lire & se renseigner
Un.e allié.e s’éduque constamment et n’attend pas des concerné.e.s qu’ils/elles fassent le travail à sa place. Il est important de faire ses recherches et de ne pas épuiser les concerné.e.s avec ses questions. Lisez et apprenez des expériences des personnes concernées. Google – ou Lilo – est votre ami.
3) Accepter les critiques
Face à la critique, il est important de ne pas se mettre sur la défensive, mais plutôt d’écouter, de s’excuser, de prendre ses responsabilités et de faire en sorte de modifier son comportement. N’attendez pas que le respect de vos sentiments soient la priorité des personnes blessées par vos actes ou vos propos, et concentrez-vous sur le fond plutôt que la forme. Le tone policing est une arme de silenciation en ce qu’elle permet de mettre un terme à une discussion en poussant ses participant.e.s à la colère pour mieux délégitimer leur discours.
4) Ne pas prendre toute la place
Quand on est allié.e d’une cause, l’idée n’est pas de tout ramener à soi et de se mettre en avant. L’idée est justement de mettre en avant les personnes concernées et de les aider de la manière qu’elles jugent la plus pertinente.
Ne pas en faire une question d’ego : il est important de ne pas s’engager juste pour briller en société ou se faire passer pour une personne géniale et tellement ouverte d’esprit, mais par réelle conviction, par envie de faire bouger la société.
Tant mieux si cela vous permet de vous enrichir, pour votre propre développement personnel, et c’est même essentiel, mais gardez en tête que vous êtes ici pour l’intérêt général et pas uniquement pour le vôtre.
Par exemple, en janvier dernier, lors de la participation de Lallab à l’Emission Politique, France 2 a insisté pour que l’invitée, face à Manuel Valls, soit Sarah, cofondatrice de Lallab. Nous nous sommes battues pendant plusieurs jours auprès de la chaîne télévisée pour que l’invitée soit Attika, trésorière de Lallab. Pourquoi ? Tout simplement parce que le sujet portait sur la question du voile en France, et Sarah est certes musulmane mais ne porte pas le foulard. Chez Lallab, nous avons une règle simple : toujours donner la parole aux principales concernées ! Sarah n’ayant pas la légitimité de s’exprimer au nom de celles qui portent le foulard, elle a tout simplement « passé le micro » à Attika !
You don’t need to be a voice for the voiceless. Just pass the mic.
— Su’ad Abdul Khabeer (@DrSuad) 12 février 2017
Pas besoin d’être la voix des sans voix. Passe simplement le micro
5) Se concentrer sur le dialogue avec les personnes qui ont la même identité
Votre rôle d’allié.e est également de combattre les oppressions, d’éduquer vos proches x-phobes x-cistes, dans le but que ces personnes ne diffusent pas leurs propos nauséabonds auprès des personnes concernées. Et oui, cela signifie que vous allez vraiment avoir une conversation avec votre tata qui n’est pas raciste mais qui trouve qu’il y a quand même beaucoup de femmes voilées en France
6) Ne pas prendre de pause
Les personnes racisées doivent faire face au racisme tous les jours, sans jamais pouvoir y échapper, les femmes subissent la misogynie perpétuellement, dans leur travail et au sein même de leur foyer.
De la même manière, en tant qu’allié.e.s vous ne pouvez pas vous taire quand « cela vous arrange », ou juste quand vous avez la flemme. Se montrer solidaire, c’est aussi partager ce fardeau de la déconstruction, et ne pas le laisser uniquement aux personnes concernées.
Si tu restes neutre face à une situation d’injustice, alors tu as choisi le camp de l’oppresseur
7) Etre allié.e n’est pas une identité, mais un processus
Etre allié.e est un but jamais vraiment atteint, il y a toujours des choses à apprendre, à mieux faire, c’est un processus qui ne finit jamais. Ce n’est pas non plus un titre que l’on peut se donner à soi-même. Ce n’est qu’au regard de vos actes et de votre attitude que le groupe, et surtout les personnes concernées, pourront déterminer si vous pouvez rester dans un espace safe ou si au contraire vous le polluez par vos interventions, par votre manque de remise en question. Ce n’est pas une identité parce que « être allié.e » n’absout pas de toutes les choses dites et faites dans le passé, ni ne protège d’erreurs dans le futur.
8) Ne pas se servir d’une caution « oppressée »
Il ne suffit pas d’avoir un.e ami.e dans une situation d’oppression (la fameuse amie noire de Nadine ) pour prétendre avoir une connaissance générale du vécu de toutes les personnes vivant cette même oppression. Pire, vous ne pouvez utiliser cet.te ami.e ou même sa parole afin de conforter, légitimer un discours raciste.
Par exemple : je connais une fille, c’est son père qui l’oblige à porter le voile, cela signifie donc que toutes les femmes voilées sont obligées de le faire.
Nous n’avons pas besoin de protecteurs. Nous voulons des allié.e.s
9) Ne pas jouer pas aux jeux Olympiques de l’oppression
Vous êtes au milieu d’une conversation sur le racisme ? Donc non, ce n’est pas le moment pour parler d’une autre discrimination que vous vivez. Être oppressé.e sur certains sujets ne vous octroie pas un « free pass » pour ne pas rester dans votre rôle d’allié.e sur des sujets qui ne vous concernent pas. Ne faites pas dérailler la conversation. Il n’est pas toujours question de vous.
10) Ne pas monopoliser l’énergie et la force mentale
Les allié.e.s ne peuvent demander aux personnes en situation d’oppression d’essuyer leur larmes parce que cette situation les attriste profondément ; ils/elles ne peuvent pas non plus épuiser ces personnes en leur racontant toutes les situations d’oppression dont ils/elles ont été témoins. Ces oppressions, votre interlocuteur/trice les connaît, les vit au quotidien et n’a pas nécessairement envie que vous les lui rappeliez constamment.
11) Ne pas baisser les bras !
Le chemin de la déconstruction est long et parfois douloureux. Parfois, vous serez épuisé.e.s. Alors n’oubliez pas de prendre soin de vous. Et rappelez-vous, ça en vaut vraiment la peine : on change le monde !
Article coécrit par Lysandra, Sarah Zouak et Justine Devillaine
http://www.lallab.org/11-conseils-pour-etre-un-e-bon-ne-allie-e/