Après un travail fouillé sur les origines de la sexologie, Sylvie Chaperon, historienne spécialiste d’histoire des femmes et du genre, maîtresse de conférences à l’Université de Toulouse 2, propose dans son nouveau livre une anthologie de textes que des médecins du XIXe siècle ont produits sur la sexualité féminine et ses diverses pathologies. L’ouvrage est construit autour d’une cinquantaine de cas de quelques-unes de ces pathologies associées à la sexualité des femmes : l’onanisme, la nymphomanie, l’érotomanie, l’anaphrodisme, la nécrophilie, ou encore l’exhibitionnisme. Le texte parcourt successivement des conduites et perversions observées par les médecins chez des femmes et puisées dans différents types de publications médicales du XIXe siècle, (articles de dictionnaire médical, traités médicaux, articles de périodiques, etc.)
L’enchaînement des cas laisse un peu perplexe au premier regard, mais l’introduction très dense de Sylvie Chaperon pose les bases nécessaires pour rendre l’ensemble intelligible. Plus qu’à travers les études historiques ou des textes réédités, l’anthologie, par le nombre et la diversité des cas exposés, nous place au cœur de la complexité du discours médical portant sur les conduites sexuelles féminines considérées comme pathologiques. Enfin, chaque cas est précédé d’un paragraphe descriptif, présentant l’auteur du « cas » et le situant dans son contexte. La composition des parties amène le lecteur à prendre conscience de l’évolution de certains de ces discours, tout particulièrement concernant les pathologies les plus représentées (onanisme et nymphomanie).
A travers l’accumulation de descriptions de troubles sexuels, l’ouvrage révèle différentes dimensions d’un ordre du discours médical du XIXe siècle. Le sexe des auteurs des observations est une première dimension à souligner, en effet les « maladies décrites ici le sont depuis le point de vue des hommes médecins exclusivement » (p. 21). D’autre part, l’ouvrage présente des observations réalisées sur des femmes, fait rare au XIXe siècle où les médecins, psychiatres ou aliénistes, élaboraient les cadres nosologiques des perversions essentiellement à partir de cas masculins. Enfin, cet ouvrage constitue une illustration de la modernité médicale du XIXe siècle, qui collectionne les observations de situations et/ou de « cas », singuliers ou représentatifs d’une population plus large.
Dans La médecine du sexe et les femmes, plus qu’un discours médical, c’est en fait toute une époque qui se dessine et se présente aux détours d’une pathologie ou d’un cas particulier. On peut ainsi apercevoir les crispations anthropologiques de la seconde moitié du siècle, l’émergence d’une crainte de la dégénérescence dont le corps féminin est à la fois une cause, un symptôme et peut-être la plus grande victime ; surtout, c’est la mère qui transmettrait les tares, « une mère libertine aura des enfants débauchés, qui eux-mêmes feront des pervers (…) » (p. 18). Ainsi l’idée d’une hérédité dégénérative se trouve au cœur des textes de médecins et elle influence son époque, comme en témoigne le développement du « naturalisme » littéraire et notamment la suite romanesque des Rougon-Macquart d’Emile Zola.
« Au total la lecture de tous ces fragments de vie, laissent à voir le chemin parcouru. Même si la libéralisation et la démocratisation de la sexualité n’ont pas touché uniformément tous les milieux sociaux, [et] même si des poches de traditionalisme religieux ou de grande misère économique et affective subsistent et même s’étendent aujourd’hui en France, le regard sur les expériences sexuelles féminines n’a plus rien à voir avec celui d’hier. » (p. 30). C’est en effet un long cheminement qui se manifeste aux yeux de celui qui arrivera à la fin de la cinquantaine de cas proposés, mais surtout – pour paraphraser Michel Foucault – il y a là une illustration tout à fait passionnante du bouleversement qui voit la bourgeoisie consolider sa domination sociale en faisant du « sexe », l’équivalent du « sang » de l’aristocratie d’Ancien régime, soit la clé de voûte de son habitus social.
Sylvie Chaperon, La médecine du sexe et les femmes, Paris, La Musardine, 2008, 198 p.