LE MONDE | 12.07.2016
Chaque phrase, chaque mot, presque chaque virgule, a été pesé. L’Assemblée nationale a adopté, mardi 12 juillet, au cours de la discussion en deuxième lecture du projet de loi justice pour le XXIe siècle, une nouvelle procédure de changement de sexe à l’état civil pour les personnes transgenres. Sans correspondre totalement aux attentes des associations trans, elle s’en est rapprochée. « Le travail n’est pas fini, mais c’est une avancée car la procédure est totalement démédicalisée », commente Clémence Zamora-Cruz, porte-parole de l’Interassociative lesbienne, gay, bi et trans. Aujourd’hui, des certificats de psychiatres, des preuves d’opérations de changement de sexe, voire de stérilisation, sont demandés.
Le texte prévoit que « toute personne qui démontre par une réunion suffisante de faits que la mention relative à son sexe à l’état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue peut en obtenir la modification ». Une liste indicative de ces faits est précisée, par exemple qu’elle est connue sous le sexe revendiqué par son entourage familial, amical ou professionnel. Le fait d’avoir engagé ou achevé plusieurs traitements médicaux a été retiré de la liste, ce qui constituait l’une des principales revendications des associations. Elles redoutaient que ce critère continue d’être exigé par les tribunaux. La procédure a également été ouverte aux mineurs émancipés.
Les demandes effectuées auprès des tribunaux
Une précédente version du texte, votée par l’Assemblée le 19 mai en première lecture, avait provoqué la colère des associations trans, qui considéraient les règles adoptées trop intrusives et arbitraires, en raison de dispositions votées à l’initiative du gouvernement par voie d’amendements. Lors de cette nouvelle lecture, les députés socialistes Erwann Binet et Pascale Crozon se sont rapprochés de la rédaction initiale de leur amendement, avec le soutien de la commission des lois et son rapporteur (PS) Jean-Yves Le Bouillonnec, contre l’avis du gouvernement.
Ce dernier l’a toutefois emporté sur un point : les demandes seront effectuées auprès des tribunaux, et non des procureurs. « Le débat contradictoire, c’est tout le contraire de l’arbitraire », a affirmé le garde des sceaux, Jean-Jacques Urvoas. Les associations trans réclament de leur côté une déjudiciarisation complète. La députée PS Chaynesse Khirouni et l’écologiste Sergio Coronado ont tenté sans succès de faire adopter un changement de sexe fondé sur une simple déclaration devant l’officier d’état civil. « Cela heurte frontalement le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes », a affirmé le ministre de la justice. L’opposition a de son côté condamné « ceux qui veulent faire table rase de tout déterminisme ».
Gaëlle Dupont
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pour recontextualiser, voici quelques articles parus il y a quelques mois…
Vers une simplification du changement de sexe à l’état civil ?
LE MONDE | 16.05.2016
« Nous n’avons jamais été aussi proches d’aboutir », affirme le député Erwann Binet (PS, Isère). Avec Pascale Crozon (PS, Rhône), l’élu a déposé un amendement au projet de loi « justice pour le XXIe siècle », examiné à partir de mardi 17 mai par l’Assemblée nationale, qui propose de simplifier le changement de sexe à l’état civil pour les personnes transsexuelles et transgenres.
Ces personnes ont le sentiment profond, qui s’impose à elles, d’appartenir à l’autre sexe que celui de leur naissance. Certaines subissent des transformations physiques (on parle alors de personnes transsexuelles), d’autres non (transgenres). Elles seraient entre 10 000 et 15 000 en France, parfois condamnées à la marginalité du fait de la discrimination dont elles sont victimes. Les difficultés liées à la discordance entre leur apparence physique et leur état civil sont également nombreuses.
Lire aussi : Les intersexes revendiquent le droit de ne pas choisir de sexe
Le caractère irréversible de la transformation
Aujourd’hui, aucune règle n’existe dans le droit à ce sujet. Toutefois, la jurisprudence de la Cour de cassation exige la preuve du caractère irréversible de la transformation physique. Dans un jugement du 24 mars, le tribunal de grande instance de Montpellier a débouté une personne qui n’était pas en mesure de prouver une impossibilité définitive de procréer dans son sexe d’origine. Des transformations esthétiques (réduction de la pomme d’Adam, opération de la poitrine, féminisation du visage) avaient été effectuées et un traitement hormonal était suivi depuis quatre ans.
« C’est une procédure longue, coûteuse, incertaine, et à des conditions médicales dont la légalité est contestée au regard des articles 3 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (…), détaille l’exposé des motifs de l’amendement. La modification de la mention de sexe apparaît donc pour les personnes transgenres comme l’enjeu central de la protection de leurs droits fondamentaux. »
Les associations qui représentent les personnes « trans » demandent de leur côté la possibilité de changer la mention à l’état civil sur simple déclaration. L’amendement, qui reprend une proposition de loi déjà déposée par les deux élus, propose une troisième voie : « Nous ne voulions pas totalement déjudiciariser le processus car il s’agit de l’état des personnes, explique M. Binet. Notre tradition juridique n’est pas très souple à ce sujet. » La création d’un nouveau régime de possession d’état, sur le modèle de celui qui existe en matière de filiation, est proposée.
Produire des attestations et des témoignages
Concrètement, si l’amendement est adopté, la personne concernée devra réunir les preuves qu’elle vit et est reconnue dans une identité de genre qui n’est pas conforme à son sexe inscrit à l’état civil. Elle pourra produire des attestations ou témoignages de son entourage familial, amical ou professionnel ; des attestations médicales d’un parcours de transition en cours ou achevé ; des documents ou correspondances ; des décisions judiciaires témoignant de discriminations ; des décisions établissant la modification du prénom… En cas de doute sur la sincérité des éléments produits, le procureur de la République saisira le président du tribunal de grande instance, qui statuera.
« L’absence d’attestation médicale ne peut suffire à motiver ce doute », précise l’amendement. En clair, aucune condition médicale n’est exigée. L’amendement, cosigné par 35 députés, a le soutien du groupe socialiste. Le gouvernement n’y est pas hostile, sous réserve de modifications éventuelles, selon M. Binet. Il sera débattu en séance mercredi 18 ou jeudi 19 mai.
Gaëlle Dupont
Les intersexes revendiquent le droit de ne pas choisir de sexe
LE MONDE | 13.05.2016
« Je suis né intersexe, c’est-à-dire avec des organes génitaux non conformes aux standards ». Vincent Guillot, membre fondateur de l’Organisation internationale intersexe (OII), ouvre les débats lors de la première table ronde officielle consacrée aux enfants à identité sexuelle indéterminée, jeudi 12 mai au Sénat.
« J’ai été déclaré garçon par défaut, poursuit-il. Je ne sais pas combien d’interventions chirurgicales j’ai subi, j’ai plus de dix cicatrices au bas-ventre. J’ai subi des injections de testostérone jusqu’à l’âge de 16 ans. A 51 ans, j’ai toujours des douleurs pour uriner, je marche avec une canne. J’ai été torturé. »
Mathieu Le Mentec, 37 ans, membre de la même organisation, a subi sept interventions entre les âges de 3 et 8 ans, afin d’obtenir le sexe masculin « assigné ». « C’étaient des douleurs, des contentions, des sondes urinaires, tout cela pendant les vacances », raconte-t-il. Nadine Coquet 45 ans, « déclarée fille à la naissance », a également été opérée à 17 ans et mise sous traitement hormonal.
« J’appartiens à un tiers humain »« Sous prétexte d’exploration, on m’a opérée sans rien m’expliquer, relate-t-elle. J’avais des gonades indifférenciées sans risque de malignité. Il n’y avait aucune justification médicale à les enlever. J’ai été victime d’un système binaire.»