Par Sarah Algherbawi, 2 avril 2020
J’écris cet article pendant la deuxième semaine d’isolement.
Le coronavirus est arrivé à Gaza le 22 mars, jour où une information a révélé qu’il avait été détecté chez deux personnes qui rentraient du Pakistan.
Depuis, et au moment où j’écris cet article, dix autres cas ont été signalés – tous, jusqu’à présent, parmi des personnes en quarantaine.
La bande de Gaza est l’une des régions du monde les plus densément peuplées.
Son système de santé a été mortellement miné par plus d’une décennie de sanctions et de blocus imposés par les Israéliens.
Les militants des droits de l’homme et les experts de la santé redoutent une catastrophe humanitaire si la pandémie s’installe ici.
Nous avons commencé à prendre des mesures d’isolement bien avant d’avoir des cas confirmés. Mais alors, et longtemps avant que quiconque n’ait jamais entendu parler de ce coronavirus, nous, à Gaza, nous avions déjà été forcés de pratiquer une distanciation « sociale » ou – comme on nous demande de l’appeler maintenant – une distanciation « physique ». Dans notre cas, c’était une distanciation du reste du monde.
Le blocus israélien de Gaza date de près de 13 ans. Plus du quart des deux millions d’habitants de Gaza – notre population est très jeune – n’auront connu rien d’autre que des difficultés et un isolement qui leur sont imposés par une force militaire implacable qui bombarde et tue à volonté.
De sorte que nous sommes tous habitués à passer du temps enfermés, incapables de sortir par peur des conséquences mortelles.
Lors de la dernière agression israélienne, la plus importante, en 2014, je suis restée chez moi pendant 51 jours alors que les bombes et les missiles tombaient dru sur nous, semant la mort et la destruction.
Au 42e jour, je n’ai plus pu le supporter. J’ai demandé à mon père – je vivais alors avec mes parents – de m’emmener en promenade, ne serait-ce que quelques minutes. D’abord, il a refusé, craignant pour notre sécurité. Mais quand il s’est aperçu de l’urgence et de mon insistance, il a accepté, à contrecoeur.
Nous nous sommes promenés dans notre quartier, à l’est de la ville de Gaza, pendant peut-être 15 minutes. Je voulais de l’air frais mais j’ai trouvé qu’il était mélangé à l’odeur de la poudre. Le ciel n’était pas vide d’avions militaires. Pourtant j’ai savouré chaque instant.
Cette fois, l’isolement est différent. Cette fois, il est silencieux.
Bienvenue à Gaza
Cette fois, je n’ai pas l’impression de pouvoir briser mon isolement. Maintenant, je suis mère de deux enfants. Ma responsabilité est de rester à la maison, quoi qu’il arrive.
Et je ne peux pas m’empêcher de penser que le confinement que le coronavirus inflige dans de grandes parties du monde est en train de montrer à tous un peu de ce qu’est la vie à Gaza.
Vous ne pouvez plus visiter des pays étrangers ni voyager en avion ? Bienvenue à Gaza. J’ai bientôt 29 ans, et je n’ai jamais pris l’avion.
Vous n’êtes pas autorisés à vous déplacer de plus de quelques kilomètres de votre domicile au risque de subir le courroux des autorités ? Bienvenue dans la minuscule Gaza, où les frontières terrestres et maritimes sont fixées par une armée – des armées, puisque l’Égypte est elle aussi impliquée – qui n’ont aucun scrupule à utiliser une force meurtrière pour vous interdire de tels déplacements.
Vous ne pouvez plus vous rendre dans un hôpital parce que le système de santé est submergé par les urgences ? Bienvenue à Gaza, 2008-09, 2012, 2014. Maintenant.
Vous craignez pour votre approvisionnement en médicaments, en eau potable, en nourriture et en électricité ? Bienvenue à Gaza, où la moitié des médicaments essentiels ne sont tout simplement pas disponibles selon le ministère de la Santé d’ici, et où l’autre moitié a moins d’un mois de stock selon les Nations-Unies.
Bienvenue à Gaza, où l’eau du robinet est impropre à la consommation humaine, où quelques 70 % de la population est en insécurité alimentaire, et où l’électricité n’est disponible que par intermittence.
Si les systèmes de santé les plus avancés du monde sont incapables de faire face à la pandémie, imaginez ce qu’il en est pour le reste du monde où les systèmes de santé ne sont pas aussi développés.
Ajoutez ensuite l’occupation militaire.
Bienvenue à Gaza.
Selon moi, il existe cependant une grande différence entre le confinement du coronavirus et ce qui nous est imposé par l’occupation israélienne : le virus, lui, est invisible. Mais les conséquences du blocus israélien sautent aux yeux de tous.
Vous les voyez, bien entendu. Mais sans rien ressentir. Il n’y avait que nous à les ressentir. Jusqu’à maintenant. Peut-être.
Les préparatifs
Les autorités ici ont essayé de se préparer au mieux. Les quelques personnes qui ont pu entrer à Gaza venant de l’extérieur ont été placées en quarantaine dès le 15 mars. Celles qui ont été testées positif ont été isolées. Le reste d’entre nous est confiné.
Mais le ministère de la Santé est douloureusement conscient des insuffisances.
La véritable crainte, a déclaré à The Electronic Intifada, Ashraf al-Qedra, le porte-parole du ministère, « c’est le manque de ressources : les médicaments, les équipements de protection, les appareils respiratoires, les fournitures pour les laboratoires, et les outils de stérilisation ».
Selon les Nations-Unies, la capacité du système de santé palestinien en général à faire face à la propagation « attendue » de la pandémie est « gravement limitée », et en particulier à Gaza.
Le ministère de Gaza a lancé un appel international pour une aide en urgence de 23 millions de dollars. Les Nations-Unies ont calculé que les besoins palestiniens, en général, était de 34 millions de dollars au 26 mars.
Dans le même temps, les établissements scolaires étant fermés, le ministre a mis sous séquestre les bâtiments scolaires pour les utiliser comme centres pour les quarantaines. Selon al-Qedra, plus de 1700 personnes sont actuellement en quarantaine, dont 1000 ont besoin de soins médicaux.
3% de la population de Gaza a plus de 65 ans et est parmi les plus vulnérables. Près de 8 % souffrent d’hypertension et de diabète, affirme al-Qedra.
Et la situation économique à Gaza est peut-être aussi problématique que celle du secteur de la santé.
Près de 50 % de la population de Gaza est déjà sans emploi, pendant que les 50 autres % est en dessous du seuil officiel de pauvreté.
Maintenant, les nombreux travailleurs occasionnels, qui en avaient à peine assez pour commencer, ont vu leurs revenus tomber à zéro du jour au lendemain.
Les anciens salariés de l’Autorité palestinienne sont eux aussi en difficulté. En 2017, l’AP a réduit de moitié son personnel. Maintenant, comme un ami qui ne voulait pas donner son nom, ils ont à peine les moyens de se nourrir.
« Ce qui me reste de mon salaire ne commence même pas à couvrir les besoins mensuels de ma famille ».
Je fais peut-être partie des personnes chanceuses de Gaza. J’ai pu jusqu’à présent acheter de la nourriture, des produits non alimentaires, et stériliser de l’alcool et du savon.
Et bien sûr, il n’existe aucune garantie contre un manque de considération ou d’éducation. Si moi et tous ceux que je connais nous nous isolons, certains ne le font pas.
Un regard sur les médias sociaux et j’en vois beaucoup qui continuent à se rassembler avec des amis ou de la famille, même à organiser des mariages à la maison – ça ne peut être qu’à la maison, les salles de mariage sont toutes fermées.
Je regarde par ma fenêtre, et je vois des garçons dans la rue, comme s’ils étaient en congé.
Une telle négligence – parfois due à un besoin de travailler, parfois, peut-être, simplement à celui de ne pas prendre cet ennemi invisible au sérieux dans un endroit où les menaces meurtrières ont un visage trop familier et trop visible – une telle négligence m’inquiète. J’ai le sentiment que nous allons peut-être devoir souffrir de l’isolement encore longtemps.
Dès 2012, les Nations-Unies ont prévenu que Gaza deviendrait invivable d’ici 2020.
Il semble que 2020 ait ses propres projets, non seulement pour Gaza, mais pour le monde entier.
Sarah Algherbawi est une écrivaine et traductrice indépendante.