jeudi 12 mars 2020 – Gwen Fauchois
Je vois passer des comparaisons idiotes entre les épidémies de coronavirus et de VIH.
Deux virus et deux épidémies qui médicalement ne sont pas comparables.
Pourtant, s’il y a une communauté qui devrait partager son expérience, c’est bien la communauté sida. Mais existe-t-elle encore ?
L’expérience que l’épidémie de coronavirus sera aussi sociale.
L’expérience que l’Etat réagira avec retard. Et que ses priorités pourront différer des nôtres. Que sa conception de l’utilité générale est partielle et partiale.
L’expérience que le gouvernement, comme ceux qui l’ont précédé minimisera, prendra des décisions d’abord économiques, prétendra donner des leçons au monde entier sans tirer conséquence du délai qui nous a été donné pour essayer d’anticiper plutôt que de subir.
L’expérience qu’il commencera par nous expliquer que l’excellence française fait de nous l’exception mondiale, de celle qui arrête des nuages aux frontières.
L’expérience, que dans la réalité, la principale barrière tiendra sur le dévouement des soignants en première ligne qui sacrifieront y compris leur santé pour essayer d’épargner la nôtre.
Alors, forts de cette expérience, c’est aussi à nous de nous auto-responsabiliser à notre échelle.
La mémoire des luttes, c’est cela aussi.
Il nous faut exiger de la part de l’Etat de prendre des mesures à la hauteur de la situation, sans attendre. Et non pas, pour protéger en priorité l’économie et sa structuration mais pour protéger tout un chacun et d’abord les plus vulnérables.
Evidemment le gouvernement est le premier responsable de la gestion de la crise et les moyens qui seront engagés ou non dépendent au premier chef de ce qu’il décidera ou non.
Mais nous savons déjà, que les mesures sociales seront les dernières décidées (si elles le sont) et que paieront le prix fort de l’épidémie, ceux qui sont déjà les plus vulnérables.
Les plus vieux, les immuno-déprimés, les atteints de co-pathologies, les femmes, les pauvres et précaires, les migrants et SDF abandonnés et entassés sur les trottoirs, celles et ceux qui n’ont déjà pas accès aux soins, celles et ceux qu’on estime négligeables, celles et ceux qui vont devoir pallier aux mesures de (non) prise en charge, qui n’ont pas les ressources financières pour attendre que le fort de la crise passe, celles et ceux qu’on envoie travailler dans les conditions de promiscuité qui font le lit de l’épidémie mais ne peuvent se passer du peu d’argent que cela représente, celles et ceux déjà contraints par les conditions de production de masse et la relégation géographique, celles qui ont déjà en charge toutes les tâches de reproduction sociale, de care et de nettoyage sans que leurs propres existences soient prises en considération, celles et ceux qui ont déjà en charge l’organisation de la solidarité réelle.
Tous ces plus vulnérables, ce sont nous et nos proches. Et nous le savons d’ors et déjà, l’Etat n’en prend pas soin. C’est nous qui le faisons.
Il ne s’agit pas de noircir le tableau. Encore une fois, les soignants feront ce qu’ils pourront et notre système hospitalier, en dépit des coups qui lui sont portés par les possédants et de son démantèlement organisé est plutôt meilleur que dans bien d’autres pays.
Il amortira en partie, il sauvera et soignera beaucoup. Mais quand il sera débordé, la mortalité en sera démultipliée, mécaniquement. Il serait naïf et irréel de croire le contraire. La mortalité des plus âgés et des plus vulnérables, mais pas seulement, quand le système sature, la mortalité explose par manque de moyens, par retard de prise en charge y compris dans les classes d’âges inférieures et les mieux portant.
Chaque jour qui passe, le nombre de cas croît de façon exponentielle et en l’absence de test, les porteurs asymptomatiques participent à leur corps défendant de cette croissance explosive et non mesurée.
Les véritables experts de la réduction des risques et de la solidarité, c’est nous.
Alors, il faut prendre sur nous de décréter qu’il n’est plus temps d’attendre, de différer.
Il faut cesser provisoirement mais au maximum tout ce qui n’est pas vital, obligatoire ou activité de solidarité qui permette à d’autres de ne pas sortir, de se nourrir, d’accéder aux soins avant que leur état ne se soit dégradé sans que personne ne s’en soit préoccupé.
Il faut cesser de penser que nous sommes et seront épargnés : faire l’autruche ou les malins ne protègent personne, pas même ceux qui estiment être statistiquement protégés parce qu’ils ne font pas partie des personnes les plus à risque.
J’en reviens à l’expérience de la communauté sida.
Nous avons su et dû ne pas attendre l’Etat pour organiser des réponses à notre échelle.
Nous savions la nécessité de prendre soin de soi pour ne pas transmettre à d’autres y compris des pathologies bénignes pour nous mais potentiellement grave pour nos amis immuno-déprimés.
Nous savions respecter les mesures de précaution élémentaires, ne plus nous embrasser s’il le fallait et quand il le fallait et célébrer la vie néanmoins.
Nous savions faire leurs courses, leurs diners, leurs lessives si besoin.
Nous pouvons nous inspirer de ces expériences. Des savoirs et solidarités populaires. Des savoirs de ceux qui savent d’abord devoir compter sur eux-mêmes.
Nous pouvons au moins essayer de mettre fin à la circulation du virus, pallier aux risques d’isolement, d’abandon, livrer des courses, alimentaires ou de médicaments, essayer de contribuer à ce que ne craquent pas les services d’assistance à domicile.
Créer des réseaux d’information, d’alerte, de solidarité et de relai. Nous avons même aujourd’hui les réseaux sociaux pour nous y aider.
Exiger de l’état que soit mis en place un revenu minimum pour tous. Qu’il gèle tous les prélèvements, les remboursement de crédit, etc …
Mais nous devons d’abord apprendre à nous réunir, au moins provisoirement sans rassemblement physique.