«Ces femmes qui en font trop» : quand le système psychiatrique croise le féminisme

  • 3 oct. 2018 – Par silentbatlle
En participant à un atelier de soutien, j’ai entendu l’animatrice me dire «mais de toute façon, les conjointes ont parfois la tendance de materner les personnes en souffrance psychique». Une analyse bien commode qui renvoie à des caractéristiques «naturelles» des femmes sans interroger le (dys)fonctionnement général du système psychiatrique.

 

 

En participant à une séance de soutien pour les aidant-e-s de personnes avec un handicap psychique, nous avons évoqué les différentes manières de gérer notre stress. A un certain moment, quand la conversation portait sur les difficultés des conjointes, l’animatrice de la séance a ajouté  » de toute façon, les conjointes ont parfois la tendance de materner les personnes en souffrance psychique ».

Je suppose que cette remarque, anodine on pourrait croire, lancée d’une manière spontanée n’avait pas la vocation de blesser ou toucher quiconque.  Mais elle est intéressante car elle révèle peut être une certaine compréhension des choses.

Tout d’abord, il m’est difficile d’expliquer combien cette remarque m’a touché et réveillé à nouveau une colère, la colère qui était déjà là, accumulée au fil des années de mon (ou plutôt notre) parcours dans la psychiatrie. Une colère débordante, démesurée et surtout sans fondement, vous allez me répondre. Une colère que je devrais pouvoir mieux maitriser,  rendre constructive, n’est-ce pas? Mais cette colère profonde et enfouie, elle est liée à la solitude, incompréhension presque constante, d’être toujours prête à se battre et ne pas se laisser faire.

Comment dans ces situations faire comprendre la violence de propos tout faits autour « l’importance de bien être des personnes aidantes » face à des milliers de situation urgentes, complexes et quotidiennes vécues en isolement et solitude totale?

En effet, ce parcours de plusieurs années dans la psychiatrie a été rempli de luttes, de colères, d’une immense sentiment de solitude et de non compréhension de la part de beaucoup de professionnel de la psychiatrie.  Cette remarque donc n’est donc pas une simple propos anodin mais révèle une compréhension plus large du système psychiatrique, la responsabilité (et souvent la déresponsabilisation) de chaque acteur dans ce système.

Pour éviter la complexité, poser un problème en terme individuelle et interpersonnel

Cette remarque pose don un constat sur les femmes qui auraient une tendance à « materner » ses conjoints, à vouloir faire « trop », s’occuper des autres d’une manière exagérée. Le problème sera donc ces femmes « qui en font trop » précisément parce qu’elles sont femmes, donc conditionner à performer ce rôle maternel. Une analyse bien commode qui renvoie à des caractéristiques « naturelles » des femmes.

Or, mon expérience en tant que femme-conjointe aidante me montre plutôt que parmi les acteurs intervenants dans le parcours de soin, il y a très peu qui répondent aux besoins immédiats les plus urgents, exprimés par les personnes concernées ou leurs proches, qui arrivent à entendre et de suivre de près les difficultés. Celles et ceux qui arrivent à comprendre la complexité mais surtout le caractère global de ces difficulté – besoin d’accompagnement social, aide administrative, soutien psychologique, insertion professionnelle, tout cela à la fois;  sans pour autant projeter les solutions tout faites. Car le parcours de vie d’une personnes ne s’arrête par à la porte de cabinet, il y des projets de vie, des ambitions professionnelles, projet professionnel en cours de création etc.

Dans notre cas, nous avons fait une expérience des acteurs qui nous renvoient systématiquement vers d’ autres professionnels, entre Cap Emploi et Sameth, MDPH et Médecin de Travail, là où la compétence des uns s’arrête et il fallait chercher une médiation auprès des autres, expliquer, réexpliquer, répéter l’histoire de la maladie, « mais quand, comment, à quel moment » toujours expliquer, rédiger les courriers, puis attendre. Et puis, à nouveau, anticiper des nouvelles difficultés, chercher d’autres professionnels, trouver d’autres aides. En attendant tous cela, la vie continue, les nouvelles difficultés apparaissent, s’accumulent.

La question est donc de savoir ce qui est fait et proposé par les acteurs de la psychiatrie pour appuyer, soutenir, rendre possibles ces projets, anticiper les difficultés, prévenir les ruptures et surtout penser une vie d’un individu en terme de parcours.

Parler ici de « maternage » pointe pour moi toute une déresponsabilisation des acteurs, une plutôt une difficulté ? manque d’envie? de capacité? de voir le système dans son ensemble, de pas travailler sur la coordination des acteurs, de pas voir l’environnement de personne en souffrance dans sa globalité.

La question est donc de savoir : Est-ce qu’on fait ce travail d’accompagnement (ou selon vos termes de « maternerage »), on le fais par le choix ou par la nécessité?

Quand j’entends donc les conseils et des remarques sur ma manière d’agir ( de « prenez du temps pour vous » à « achetez vous un cadeau comme une récompense »), à chaque fois j’ai envie de poser la question

« Et vous, qu’est ce que vous faites pour que je puisse être moins engagé, « plus à ma place » de conjointe?

Quelles sont les conditions crées pour que je puisse être moins investie physiquement et psychologiquement?  »

Une fois que l’on aura engagé une conversations sur ces conditions à créer, je serai prête à réfléchir sur ma tendance « féminine » à materner et à en faire trop.